Une



Chargement
Quand le mégaphone s'éteint

Lorsqu’un mouvement social est lancé, il n’a qu’une volonté : faire bouger les choses. Défendre des idées, une cause, revendiquer des droits : la contestation ne laisse jamais indifférent. Et si, en plus de faire bouger le monde et la société, le mouvement changeait la vie de ses membres ?

Audrey Le Bivic
Audrey Le Bivic
Productrice de lait de 33 ans, était engagée dans la crise de 2009. Elle a trouvé une alternative à la lutte : nouvelle économie, mouvements pacifistes… Ses contacts avec ses collègues ou ses proches ont pu être affectés par ce choix.

Denis Castel
Denis Castel
Ex-militant à Marine Harvest (Finistère), il a connu un douloureux plan social. Son étiquette de délégué du personnel l’ayant empêché de retrouver du travail, il a ouvert un bar à Brest avec sa femme. Une nouvelle vie, mais il reste en contact avec ses anciens collègues.

Anie et Michel Politzer
Anie et Michel Politzer
Militants anti-nucléaires à Erdeven et Plogoff dans les années 70. Depuis ce premier combat, ce couple a fait de l’engagement écologique une vie. 40 ans plus tard, ils posent encore crayons et pinceaux sur la toile pour transmettre leurs idées.

Jean-Pierre Le Mat
Jean-Pierre Le Mat
porte-parole des Bonnets rouges. Difficile d’imaginer ce petit patron en indépendantiste radical durant ses vertes années. Et pourtant. Passé de l’extrême-gauche au régionalisme tendance Troadec, ce personnage passionnant a une devise : « place aux jeunes »

Passer le tract à gauche
A

u commencement, il y a la lutte. Une colère, un ras-le-bol, un refus… C’est ce qui a poussé Jean-Pierre Le Mat, petit patron, Anie et Michel Politzer, artistes, Audrey Le Bivic, agricultrice et Denis Castel, ouvrier, à s’engager. Durant des semaines voire des mois, ils ont mis leur vie entre parenthèse pour défendre leurs valeurs ou leur emploi. Puis il y a la fin, victoire ou échec. Episode charnière vers la vie d’après. Des années plus tard, que reste-t-il de ce déclic ? Comment a-t-il marqué leur mémoire ?

« On s’est fait avoir »

Petit bout de femme au regard franc, Audrey Le Bivic se souvient précisément de la fin de la grève du lait, en septembre 2009. Cela fait une dizaine de jours que, de l’aurore à la tombée de la nuit, elle campe sur le parking de la centrale du Lidl de Guingamp avec des camarades agriculteurs pour dénoncer la chute des prix et empêcher l’abandon des quotas laitiers. Une période harassante où la trentenaire court entre ses 70 vaches et les barricades. Quand, le 18 septembre, arrive l’annonce d’une entrevue entre le ministre de l’agriculture Bruno Le Maire et les producteurs… via les représentants locaux de la FNSEA, le syndicat majoritaire. Audrey rentre chez elle et prend conscience que les choses n’évolueront pas comme elle l’espérait. « J’ai compris qu’on ne trouverait pas d’accord satisfaisant en apprenant que c’était les représentants de la Fédé’ qui allaient négocier », explique la jeune agricultrice affiliée à l’association des producteurs de laits indépendants (APLI).
Et pour cause : alors que la grève a été lancée par cette organisation indépendante sous le regard réprobateur de la FNSEA, c’est finalement celle-ci qui reprend la main. « Alors bien sûr, j’ai espéré tant bien que mal qu’ils trouveraient une solution, mais je n’y croyais pas ». Au final, ce sont les méthodes de la FDSEA, la branche départementale du syndicat, qui révoltent la Bretonne. « On s’est fait virer par la Fédé alors que nous étions censés tirer dans le même sens. Ils nous ont demandé de rentrer chez nous et on n’a pas su de suite ce qui avait été négocié. On entendait « on va négocier nous, maintenant pour vous c’est terminé », ce que je n’ai toujours pas digéré ! Et si nous en sommes là aujourd’hui, c’est bien de leur faute… ».

FNSEA
Créé en 1946, elle regroupe entre 220 000 et 240 000 adhérents et est organisée en fédérations départementales (FDSEA). C’est le syndicat majoritaire à la Chambre d’Agriculture.

Une phrase résonne alors dans la tête de la jeune femme. « Je me suis dit ‘c’est pas possible, on s’est fait avoir’. A ce moment là, j’attendais de voir les négociations, j’avais encore un infime espoirs. C’est en voyant les informations qu’on a compris que ça n’avait rien donné. Avec la grève du lait nous avions le sentiment d’avoir fait bouger les choses, nous voulions tenir », se rappelle-t-elle. « Malheureusement on n’a pas tenu, enfin pas nous mais les gens à l’écoute des ordres de la FDSEA… Ils ont lâché trop tôt. » Un immense choc, accompagné d’une grande déception pour Audrey et ses confrères de l’APLI. Surtout quand ils découvriront, plusieurs années plus tard, « qu’à deux jours prêts les laiteries fermaient ». Ce qui, selon elle, aurait été un tournant décisif dans le conflit. Alors la fin du mouvement pour elle est amère, et l’énergie déployée n’aura été qu’un « coup d’épée dans l’eau ».

Une période d’entre-deux particulière

Mais la fin, parfois, n’est pas là où l’on croit. De juin 2013 à mai 2014 qui annonce la fermeture définitive de la production, Denis Castel, représentant du personnel à l’usine Marine Harvest de Poullaouen (Finistère), a enchaîné réunions, journées de débrayages et manifestations.

Pour lui, il n’y a pas eu véritablement de déclic qui puisse indiquer la fin de la bataille, puisque la fin a toujours été là, latente… « On s’est battus pour obtenir des choses, améliorer les accords du plan social, sachant déjà que c’était foutu pour le site. La lutte s’est arrêtée quand toutes les grandes lignes du PSE (plan de sauvegarde de l’emploi, ndlr) ont été définies ». Géant de l’agroalimentaire, le numéro 1 du saumon lâchera finalement des indemnités de licenciement supplémentaires et quelques reclassements pour les 178 salariés licenciés.

« J’étais toujours dans le boulot, et il fallait en même temps préparer le devenir »

Pour Denis Castel, en poste avec une vingtaine de rescapés jusqu’à la fermeture totale de l’usine en décembre 2015, la fin du combat est plus une période d’entre-deux difficile à négocier. « Pour moi, la transition était particulière », confie-t-il. « J’étais toujours dans le boulot, et il fallait en même temps préparer le devenir ». Encore aujourd’hui, même après avoir été licencié, il participe toujours au suivi des reclassements de ses ex-collègues. Sa femme Najia, qui l’a soutenu depuis le début, confie : « Il mettra du temps avant de se dire : « c’est terminé, terminé. »

« J’ai tout de suite craint l’arrêt du mouvement »

Et la victoire, au moins, ça se fête ? «Nous ne nous sommes même pas retrouvés autour d’un bon verre de whisky», sourit Jean-Pierre Le Mat. L’hétéroclite mouvement des Bonnets rouges a pourtant su faire plier l’État en 2013, à coups de portiques écotaxes abattus, de centre des impôts incendié et de larges manifestations.

Mais son porte-parole d’alors ne saurait détacher une date où le combat, pour lui, a pris fin. «Il y a eu dans un premier temps la suspension de l’écotaxe mais nous ne pouvions faire confiance à l’État. Puis il y a eu l’arrêt définitif ». Une décision qui surviendra en octobre 2014. « Notre première pensée, mes premiers mots lors de l’annonce c’est « on a gagné »… Mais j’ai tout de suite craint l’arrêt du mouvement ». S’ensuit un moment de réflexion, de doutes, pour les représentants des Bonnets rouges. Si tous se retrouvaient derrière une lutte, des idées communes malgré leur origines diverses, la victoire va de pair avec la fin de l’union. «On sait que tout est terminé lorsqu’on voit le passage de l’intérêt commun à l’individuel, tous les petits mouvements se reforment et chacun repart de son côté », analyse-t-il aujourd’hui avec recul.

« On sait que tout est terminé lorsqu’on voit le passage de l’intérêt commun à l’individuel, tous les petits mouvements se reforment et chacun repart de son côté »

Même amnésie pour Michel Politzer, 83 ans, farouche opposant au projet de centrale nucléaire à Erdeven au milieu des années 1970. «Je me rappelle de la mort d’Edith Piaf, de Cocteau mais ça, j’ai pas le souvenir», lance-t-il, attablé dans son atelier d’artiste. Anie, sa femme mais surtout sa compagne de lutte, elle, s’en souvient : «On l’a su quand François Mitterrand a été élu (en 1981, ndlr), il a dit tout de suite que les Bretons n’auraient pas de centrale. Puis dans les articles de journaux ». Même si en vérité, le couple se doutait d’ores et déjà depuis plusieurs semaines que le projet de centrale pour leur village était abandonné.

« Il était temps que ça s’arrête… »

Ce dont le vieil homme se remémore, c’est surtout un sentiment d’épuisement. « Il était temps que ça s’arrête… Il était temps qu’on gagne quelque chose». Et pour cause ! Accaparés par deux ans et demi d’une lutte débutée en 1975, les deux artistes accusent du retard dans leur travail… Le peintre et sa femme, auteure, se retrouvent dans une situation financière difficile : l’argent ne rentre plus. « On était en danger ! », s’exclame Michel. Avec trois enfants à charge, le couple se voit contraint de se remettre au travail en 1978 avant la fin définitive du combat qui aura lieu trois ans plus tard. Un choix difficile à faire comprendre aux compagnons de lutte… « Les gens venaient chez nous pour parler. Ils taillaient une bavette, mais nous on était en train de bosser ! On les recevait avec plaisir mais ça nous a coûté très cher », se remémore Anie. Malgré tout, même si les artistes sont rattrapés par leurs impératifs financiers, leur implication dans la lutte contre les centrales nucléaires se perpétuera… Mais à travers un aspect plus politique.

Retour à l'anormal
Fin de la lutte. La vie continue. Mais comment ? Un retour à “l’anormal” particulier pour chacun de ces individus, touchés par des combats différents. Ouverture d’un bar, écriture de livres et peintures... Chacun à leur manière, ils ont tenté de renouer avec la réalité. Avec le sentiment qu’elle n’est pas tout à fait la même qu’avant.
U

n mouvement social n’est pas fait pour durer, il n’est qu’une parenthèse qu’il faut savoir fermer. Jean-Pierre Le Mat, vieux militant, en a bien conscience. C’est l’inquiétude et l’incertitude qui s’installent pour l’avenir du mouvement des Bonnets Rouges. Aucun des camarades n’avait envisagé, ou du moins organisé un “après-lutte”. L’ingénieur agronome se concentre alors à nouveau sur sa famille et son entreprise d’informatique, créée une quinzaine d’années plus tôt. C’est le retour à l’inévitable train-train quotidien. Y compris du côté des Politzer, qui connaissent le même sort. Seulement, devant leur porte, les sollicitations continuent. Anie se souvient: “On était le symbole d’une lutte qui avait réussi, on venait nous demander des conseils. Pendant deux ans et demi, on a été plongés dans une action et après, on a été confrontés à des attentes auxquelles on n’était pas préparés”. Les militants de Plogoff, qui se battent alors aussi contre un projet de centrale nucléaire, les contactent dans l’espoir de leur support. “On n’y est pas allés, on a juste fait une réunion pour les prévenir du danger du nucléaire. On avait fait notre boulot pendant un an. Ça ne m’intéressait pas de me prendre une grenade sur le gueule”, lance Michel, rebuté par la violence.

« On avait fait notre boulot pendant un an. Ça ne m’intéressait pas de me prendre une grenade sur le gueule »

“Des cris d’angoisse, de révolte”

Exit le passé, le couple ne veut plus s’investir autant dans la lutte. Mais elle restera une ombre planante dans leurs esprits. Qui ira même s’imprégner jusque dans leurs oeuvres. En 1978 et 1999, deux catastrophes écologiques viennent de nouveau perturber la vie de Michel et Anie : les échouages de l’Amoco Cadiz et de l’Erika et leurs désastreuses marrées noires. Inconsciemment, l’art des deux artistes prend une nouvelle tournure. “La lutte a rejailli sur notre boulot. J’ai fait des toiles qui étaient véritablement des cris d’angoisse, de révolte”, explique le militant écologiste.

« J’ai fait des toiles qui étaient véritablement des cris d’angoisse, de révolte »

Crayons en main, Michel se mobilise pour alerter le grand public : “J’ai créé des affiches, des autocollants et un tee-shirt avec une étoile du drapeau européen qui pleure du goudron pour l’Erika”. Anie, quant à elle, alors en pleine écriture d’un livre de science-fiction, transforme son ouvrage en un roman d’anticipation ou l’avenir du monde se trouve bouleversé par les changements écologiques.

De l’usine au bar

Virage à 180 degrés pour Denis Castel au lendemain de sa lutte. Le 31 décembre 2015, voilà le salarié de Marine Harvest licencié, pour de bon. Pas le temps de s’habituer au chômage, dès début janvier il prend les commandes du café le Najy. Fini la transformation de saumon, l’homme se met à son compte et décide de servir de la bière dans son bar-tabac de Brest. Son épouse, restée provisoirement sur Plounévézel (commune limitrophe de Poullaouen), se charge de la comptabilité à distance et lui donne des coups de main le week-end.
Le père de famille mûrissait son projet depuis longtemps, faute de choix. Après avoir été mis au placard pendant les derniers mois où il travaillait encore à l’usine de Poullaouen, Denis Castel apprend alors que le poste que la direction lui promettait sur le site de Landivisiau ne lui sera finalement pas attribué : « Avec 53 ans et l’étiquette de délégué du personnel que j’ai dans le dos, je savais que ça allait être compliqué de retrouver un emploi dans une usine ». Chose d’autant plus difficile que le marché du travail du Poher n’est pas au beau fixe. « Petit à petit ça a germé dans ma tête comme une évidence : j’avais déjà un pied dans le commerce avec ma femme qui tenait un café à Plounévézel », retrace Denis Castel. La reconversion est réussie, même si elle n’a pas été des plus aisées.

Pas facile de gérer à la fois la vente du bureau de tabac, la poursuite des négociations du plan social, et l’achat du nouveau fond de commerce : « Mes indemnités de licenciement ont été réinvesties totalement là-dedans ». Aujourd’hui, Denis Castel ne manque pas de travail. Et il compte bien endosser sa nouvelle casquette de commerçant jusqu’à la fin. Derrière son comptoir, il retrouve le côté humain qu’il avait perdu : plus question pour l’ancien salarié de redevenir un “numéro en usine”.

“J’avais la tête à la crise et le corps entre l’usine et la ferme”

L’usine, Denis la quitte, Audrey en prendra le chemin. Alors qu’elle occupe toujours la centrale du Lidl de Guingamp, l’agricultrice, alors âgée de 26 ans, fait finalement le choix d’arrêter la lutte : “C’était en plein milieu de la crise du lait, je ne pouvais plus vivre”. Elle tourne le dos à ses confrères qui continuent le blocus et rejoint une usine sous le statut d’intérimaire. Elle se retrouve entre ses vaches et la conception de chaudières à Morlaix. “J’avais la tête à la crise et le corps entre l’usine et la ferme. C’était la première fois que j’allais à l’usine. C’était une première grosse claque ”.

Audrey Le Bivic, « restée droite dans ses bottes »


Mais pas le choix, la mère de famille doit se battre: “Il fallait que j’aie un salaire, pour payer ma maison… Puis je venais d’adopter ma petite fille. J’étais au début de ma vie, j’avais vu au long terme, entre la maison et la construction d’une famille et paf … tout s’est écroulé, alors je n’avais pas le choix, je devais assurer”. Ainsi, pendant quatre mois, Audrey cumule deux emplois. Elle peut compter sur ses parents qui lui rendent de nombreux services lors de ses absences … Un rythme que la jeune bretonne assume sans rechigner.

Une épée de Damoclès au dessus de la tête

Mais le moral ne suit plus, l’agricultrice perd pied. “En quittant l’usine, quand je me suis retrouvée seule dans le hangar, c’était très difficile. La fatigue, les angoisses, la pression… J’ai tout simplement fait une dépression ». La JA (Jeune Agricultrice) envisage même de déposer le bilan : « On a mis tous les fournisseurs autour d’une table, la banque y compris, et un juge a décidé de la méthode pour étaler mes dettes. Ce n’est pas un dépôt de bilan, mais l’étape juste avant ». Une solution temporaire et précaire selon la productrice de lait. Elle ne commence à sortir la tête de l’eau, financièrement, qu’au terme de l’année 2015. Pour autant, Audrey reste consciente que malgré tous les efforts consentis, elle se rend tous les matins à la ferme avec une épée de Damoclès au dessus de la tête. La jeune femme est encore endettée à hauteur de 40 000 euros auprès de ses fournisseurs, « sans compter les emprunts bancaires ».

Unis comme les doigts du poing
L'union fait la force. Le vieil adage n'est plus à démontrer au sein les luttes sociales. Mais de cette solidarité, que reste-t-il après-coup ? Passer d'un combat collectif aux préoccupations personnelles, aux impératifs du quotidien, ça ne se fait pas sans douleur. Entretenir le lien entre les militants est alors essentiel... et parfois vital.

Définitions des Politzer

« L

a semaine dernière [mi-janvier 2016], on a perdu un de nos collègues… qui s’est suicidé ». Denis Castel, le regard scrutant sans but le mur du fond de son bar, peine à trouver ses mots. Il poursuit, non sans marquer de nombreuses pauses : “C’était un qui a été licencié au 31 décembre 2015 aussi, qui travaillait là haut avec moi… C’est un moment dur, aussi”. Le drame serait très lié avec la perte d’emploi de son collègue. “On savait que chez Gad, il y’en avait eu, et nous on n’avait pas été touchés. Quelque part on était rassurés de ce coté là, en se disant : ‘on a réussi à passer ça sans… sans grosse casse’. Parce qu’il y a eu de la casse, il faut pas l’oublier. On a appris la nouvelle… Ça a jeté un gros coup froid, ça touche quoi.”
Cette situation, Audrey Le Bivic y a été confrontée : “Entre les dettes, la fatigue, la pression et tout ce qui guide notre quotidien on est constamment à cran. Alors il arrive que certains ne voient plus le jour et s’ôtent la vie”. Dans son entourage professionnel, Audrey a déjà perdu un collègue. Un autre a également tenté de mettre un terme à ses jours, “heureusement, on l’a retrouvé avant et il s’est fait soigner. Désormais il a vendu et va beaucoup mieux.” La solidarité et l’action collective sont alors essentielles.

485
suicides d’agriculteurs entre 2007 et 2009 selon l’Institut national de veille sanitaire.

Quand il a été question, au cours de la crise du lait, de réaliser des journées blanches, comme à Plouisy (18 septembre 2009) où près de 200 000 litres de lait furent déversés, Audrey n’a pas hésité. “C’était évidemment un mouvement pour contester, mais certains voyaient en la grève du lait un moyen de ne pas sombrer”. Si tous les jours, du 10 au 25 septembre 2009 les producteurs de lait se réunissaient sur la place du Vally à Guingamp, ils ne venaient pas simplement faire acte de présence mais montrer que le mouvement des éleveurs était solidaire, dans le sillage de la grève du lait menée par l’APLI.

“C’était évidemment un mouvement pour contester, mais certains voyaient en la grève du lait un moyen de ne pas sombrer”

Audrey a-t-elle également envisagé de mettre fin à ses jours ? “Oh oui vraiment. Si je n’avais pas eu mes proches … (elle coupe). Quand ça ne va pas, je les appelle, pas pour leur dire que je me sens mal, ça peut être pesant pour quelqu’un d’entendre ça, mais simplement pour discuter. Et après, sans qu’ils ne s’en rendent compte, ils me remontent le moral et me changent les idées.” Et quand elle parle de ses proches, l’agricultrice de Plouaret ne pense pas à ses parents mais bien à des amis ou des collègues qui vivent en dehors de la ferme. La raison ? “Il arrive que mes parents soient dans le même état que moi. Alors si je les appelle et qu’ils ne vont pas bien, personne ne se remonte le moral, en rigole la bretonne. La chance qu’on a, c’est que généralement on est déprimés un par un. C’est rare qu’on soit deux ou trois, alors c’est toujours ça de gagné.”

Être attentif à chacun

L’attention portée aux proches peut alors sauver des vies. Le rôle des collègues est donc de “percevoir les moindres signes” selon la productrice de lait âgée de 33 ans. “Ça dure quelques heures, ou deux jours tout au plus, mais on ne doit pas louper les premiers signes. Après on doit se remonter le moral entre nous. On s’appelle, on se soutient, on se rencontre et on n’hésite pas à se déplacer si un collègue va mal. La solidarité existe vraiment dans notre profession.” Mais au-delà de ça, les agriculteurs font avant tout de la prévention. “On s’invite à boire un café ou à discuter avant même que l’un d’entre nous ne sombre. Après on ne bosse pas ensemble, mais si on sent que quelqu’un va mal on lui propose nos services. Le mot d’ordre est de ne surtout pas hésiter à s’appeler.” Car finalement plus encore que dans d’autres professions, chaque suicide est perçu comme un échec par le corps agricole. « Le pire c’est quand on ne l’a pas vu venir, alors qu’on s’appelle régulièrement. C’est un échec pour la collectivité d’éleveurs … Surtout que parfois tout semble aller pour le mieux et du jour au lendemain on perd un collègue, un ami… On n’a plus le droit de laisser passer ça… »

« Le mot d’ordre est de ne surtout pas hésiter à s’appeler. »

A Marine Harvest, les représentants du personnel ont aussi joué la prévention. Une cellule psychologique a été obtenue au cours des négociations. Denis concède que ça a pu le soulager : “Ca nous a permis de discuter, de nous décharger… C’est un poids lourd à porter, tout ça”.
Tout comme Audrey, les représentants du personnel ont cherché à prendre régulièrement des nouvelles de chacun. “On a essayé d’établir des listes de personnes à cibler, qui nous paraissaient peut être plus fragiles. On savait que des gens étaient en difficulté, pour x raisons. Il peut y avoir des problèmes d’alcool, de famille, des problèmes financiers. Et parfois c’est d’autres personnes de l’extérieur qui les connaissent, et qui nous en parlent.” Aujourd’hui encore, bien qu’installé à Brest, des anciens collègues de Denis lui rendent visite, et donnent des nouvelles de chacun..

On a essayé d’établir des listes de personnes à cibler, qui nous paraissaient peut être plus fragiles

Bien sûr, les difficultés vécues par de nombreux licenciés ne sont pas toutes aussi extrêmes que la dépression, ou le souhait d’arrêter de vivre. Retrouver un emploi est aussi un enjeu majeur pour lequel Denis Castel s’active encore, au sein d’un comité de suivi et d’un comité de revitalisation du territoire obtenus par les négociations. “Il ne faut pas oublier qu’à Poullaouen, dans la grande majorité c’étaient des gens qui n’avaient travaillé que là. Dont certains qui ne connaissaient pas Pôle Emploi. Se retrouver sur le marché du travail ce n’est pas si facile que ça. C’était compliqué pour eux.”

La famille, un soutien de poids… fragile

La famille est en première ligne lors d’un mouvement social. A Poullaouen, selon Najia, l’épouse de Denis Castel, “il y a eu énormément de séparations et de divorces”. Même au sein de leur propre famille ça n’a pas été simple, explique le père de trois enfants : “Ça crée obligatoirement des tensions, un décalage. On est dans notre bulle (…), on a tellement de choses en tête, tellement de choses à penser, qu’on n’est aussi peut être pas prêts à écouter. Dans notre attitude, nos comportements, nos propos, on ne se rend même pas compte qu’on est à côté de la plaque. Je pense qu’ils en ont pâtis. (il se reprend en insistant) Ils en ont pâti, ça c’est certain”. Son absence est notamment dure pour les enfants. Heureusement, Najia reste un soutien de taille, et de bons conseils. D’autant plus qu’ayant été elle-même déléguée du personnel confronté à un plan de licenciement massif alors qu’elle travaillait en tant qu’aide à domicile.

« Mes enfants en ont pâti, ça c’est certain »

Jean-Pierre Le Mat, lui aussi, a trouvé son principal allié et soutien auprès de sa femme, Marie-Ange. « Je n’ai jamais été engagée, je n’étais pas une militante. J’étais plutôt admirative. Je suis venue au premier grand rassemblement à Quimper même si Jean-Pierre ne voulait pas trop (…) Je ne savais pas à quoi m’attendre et j’ai trouvé ça extraordinaire tous ces gens qui semblaient croire en la même chose.” appuie-t-elle avec conviction. Aujourd’hui, Marie-Ange ne s’inquiète plus trop pour son époux: “Je n’ai plus peur quand il part aux manifs, on a fini l’époque où on affrontait les CRS » rit-elle.

Difficile d’entretenir la lutte collective

Pendant et après la lutte, famille, proches et anciens camarades militants se montrent donc particulièrement attentifs au devenir de chacun. Mais si ce soutien est fort, il s’inscrit désormais davantage dans une démarche purement humaine, et moins militante. Si Jean-Pierre Le Mat se réjouit du “réseau né du décloisonnement entre les professions” et des nouveaux partenariats après les Bonnets Rouges, sa déception est perceptible. Avec la fin des rassemblements, la solidarité des Bonnets Rouges s’estompe. Les militants actifs engagés pour donner suite aux revendications du mouvement se font de moins en moins nombreux. Et, selon Jean-Pierre, l’absence de médias conférerait un sentiment de solitude aux responsables encore actifs.
Néanmoins, le chef de file de la communication ne désespère pas, préférant se satisfaire de l’enrichissement humain apporté par la lutte : “J’ai toujours fait des rencontres lors des luttes et je m’attachais plus aux personnalités avec lesquelles j’échangeais, qu’à leurs couleurs politiques”. Un brin philosophe, il tente de tirer le meilleur de ses relations : “Il ne faut pas se voir comme une image, une étiquette, il suffit de s’enrichir et de se façonner au fur et à mesure des rencontres en voyant ce que l’on veut ou ne veut pas être”. Son engagement auprès des Bonnets rouges lui a aussi donné l’occasion de revoir d’anciens camarades avec qui il partage le passé sulfureux de leur lutte à Plogoff. “C’est du passé, mais cela faisait plaisir de les revoir”, confie-t-il. Il assure ne s’être jamais retrouvé seul et encore moins après les Bonnets rouges.

« C’est du passé, mais cela faisait plaisir de les revoir »

Les rencontres faites par les Politzer sont aussi l’un des bons souvenirs de leur lutte. Et ils en ont fait beaucoup, de tous horizons : des étudiants parisiens, des militants acharnés, une Japonaise… et même des Sioux, venus pour la conférence de Genève sur les minorités afin de lutter contre l’exploitation de l’uranium sur leurs terres. “Ils avaient entendu parler de nous, du CRIN”. Le CRIN, c’est le Comité Régional d’Information sur le Nucléaire qu’ils créent en novembre 1974. Il a alors pour objectif d’apporter des informations aux habitants et aux touristes pour lutter à Erdeven et contre le nucléaire dans sa globalité. Il se multipliera en une centaine de cellules… et dans le monde entier. Anie ne s’en attribue pas le mérite: “C’est grâce à la solidarité, grâce aux gens. C’est eux qui ont fait le relais et ont étendu le mouvement. On s’est contenté de donner des pistes”. Pourtant, le couple aura dû insister pour empêcher que l’élan du rassemblement solidaire s’éteigne : “On aurait pu craindre que les bras se baissent un peu. On a dû les pousser car c’était la protection du clocher avant tout pour eux. Ils ne comprenaient pas que le nucléaire n’a pas de frontières”, constate l’auteur.
Mais avec le temps la solidarité a perdu pied. “Il n’en est pas resté grand chose car les choses se délitent vite. Notre enrichissement de contact s’est dilué. On n’a jamais revu ces indiens, les étudiants ou la japonaise qui faisait une thèse sur notre lutte”, déplore Michel.

« Il n’en est pas resté grand chose car les choses se délitent vite. »

Le vieil homme est amer face à une “société qui sépare énormément parce qu’on est obligé de bosser”. Une réalité partagée par les Bonnets Rouges, et également les salariés de Marine Harvest. Ces derniers avaient tissé des liens et mené des actions communes avec les ouvriers de Gad ou Tilly Sabco… Mais, les luttes étant terminées, les liens se sont vite estompés.
Michel Politzer y va de son hypothèse : “Cette solidarité effective, ce n’est pas sûr qu’on la retrouverait. On est tellement sur-noyés, abreuvés d’informations, de contre informations…”. L’espoir en la solidarité militante est désormais éteint pour le couple d’artistes: “Les gens sont très spectateurs maintenant.”

Pouvoir à revoir
Pas de centrale à Erdeven. Plus d’usine à Poullaouen. Plus d’écotaxe, et terminées les journées blanches des producteurs laitiers. Un point final est apposé, au moins provisoirement, aux actions de terrain. Mais, pour la lutte et les revendications qu’elle porte, il s’agit plutôt des points de suspension : le combat se poursuit, usant d’autres moyens d’expressions, plus institutionnels, sur le terrain politique.
« G

râce au CRIN, on s’est forgé une conscience politique » expliquent Anie et Michel. Exit le rôle de leader de lutte. Michel Politzer décide d’endosser la casquette d’homme politique, tandis que sa femme se met en retrait, suite à une véritable « saturation ». « Après Erdeven, les élections locales de Belz ont vraiment signifié quelque chose. Ce n’est pas celui qui parlait le mieux ou qui avait le plus de fric qui était élu. Il était temps de traduire les résultats de notre lutte dans l’urne ». Victoire ! L’écologiste restera six ans à son poste de premier adjoint, en charge du plan d’occupation des sols. « J’étais sur la liste du médecin du village. J’ai mené toute la campagne », à grands renforts de réunions publiques. Pourtant, même si Michel fédère encore une fois du monde autour de ses idées, il se retrouve finalement seul une fois en poste. « J’ai proposé de faire des commissions publiques, on m’a répondu ‘Ah bah écoute t’es élu maintenant tu te démerdes' ». Sa tentative de mettre en place un journal communal tombe à l’eau, et de l’animosité se fait sentir. « Je me suis fait des ennemis ». L’homme ne baisse pas les bras pour autant. Avec les copains, il crée le MEP en 1980. Un Mouvement d’Ecologie Politique, pour « s’attaquer au plan national ». Il aboutira finalement à un parti que l’on connaît bien aujourd’hui… « On a créé les Verts-Parti écologiste en 1982 avec d’autres groupes. On voulait créer un mouvement unique ».

Brève histoire du Mouvement d’Ecologie Politique (MEP) racontée par Michel Politzer

Passer la souris sur l’image pour écouter les sons

Traduire le mouvement dans les urnes, c’est aussi ce que souhaite Jean-Pierre Le Mat. S’il admet avoir voté pour Daniel Cohn-Bendit, François Bayrou ou encore le Nouveau Parti Anticapitaliste pour des élections nationales, l’anarchiste breton est plutôt séduit par des personnalités plutôt que des partis politiques. Lors des élections locales, une seule chose compte dans le choix du bulletin qu’il glissera dans l’enveloppe : “l’intérêt de la Bretagne avant tout. En espérant avoir le plus d’anciens Bonnets Rouges vainqueurs à chacune des élections”. Aux présidentielles 2017, il espère bien voir celui avec qui il entretient des relations amicales, Christian Troadec (maire de Carhaix (29) et leader des Bonnets Rouges), participer. Le défenseur des droits bretons a en effet déclaré son souhait de briguer un mandat… à l’Elysée.
Pourtant, utiliser le système électoral pour faire passer ses idées n’a pas toujours séduit Jean-Pierre. Longtemps rétif à toute forme d’autorité, Jean-Pierre Le Mat ne prendra le chemin des bureaux de votes qu’à ses quarante ans, après avoir été condamné pendant plusieurs années à la perte de ses droits civiques pour deux ans suite à son insoumission à l’armée. “Je n’étais pas attiré par les urnes mais ma mère à réussi à me convaincre. Elle avait raison, je commençais à me calmer, à bâtir une maison, à construire ma famille”, concède l’homme, assagi, et désormais père de trois enfants.
Il faut dire que plus jeune, cet « anarchiste amoureux de son pays : la Bretagne » est entré en politique par des chemins des plus sulfureux : l’année de ses 20 ans, insoumis à l’armée, il prend la mer direction l’Irlande, et s’échappe. Il y apprend le breton, enseigné par des membres en exil de groupuscules soupçonnés de collaboration pendant la seconde Guerre Mondiale. Jean-Pierre Le Mat s’amuse aujourd’hui de ces rencontres obscures, affirmant “s’être enrichi au cours de ces discussions houleuses avec des personnages totalement opposés à ses idées”. Lorsque l’on insiste sur le pedigree d’extrême-droite de ses anciens professeurs de langue, Jean-Pierre Le Mat précise son rapport à eux. Ces “hommes militarisés”, ces “vieux nazis”, selon son expression, étaient pour lui comme des curiosités historiques. « Des martiens hors du temps, sortis de l’Histoire », résume-t-il.

IRA
L’Armée Républicaine Irlandaise regroupait plusieurs groupes paramilitaires qui luttaient contre la présence britannique pendant la guerre civile en Irlande du Nord. Le Sinn Féin y était lié jusqu’en 2005.

Influencé par les combats de l’IRA et du Sinn Fein en Irlande, il créé avec plusieurs camarades à son retour en Bretagne le groupuscule indépendantiste Strollad Pobl Vreizh (SPV), actif de 1979 à 1983. Lui qui est militant actif contre le projet de centrale nucléaire dans le Cap Sizun (29) y voit un possible prolongement de la lutte, mais visiblement pas dans la même philosophie que Michel Politzer… « Nous nous préparions en cas de maintien du projet de centrale nucléaire à Plogoff ». Il sera condamné à une peine avec sursis pour « constitution de groupe paramilitaire, trafic d’armes et intelligence avec des pays étrangers », et libéré après une grève de la faim de 12 jours. Une période dont il ne parle pas aisément. Un groupe paramilitaire ? « Nous faisions des marches sportives en forêt et des entraînements physiques ». La couleur politique de son groupuscule ? Difficile à déterminer. Le Mat et ses compagnons se considéraient comme des « libertaires autonomistes plus que des fachos, saoulés par la gauche et l’Union Démocratique Bretonne (UDB) qui n’agissaient pas… ». Le libertaire, qui se dit ni de droite, ni de gauche, n’est pas toujours à une contradiction près. Mais il est représentatif de la complexité de l’univers régionaliste pour qui la défense du territoire passe, bien souvent, au-dessus des étiquettes politiques.

Le piège de la récupération politique

Chercher une résonance à son combat au-delà des couleurs politiques, Denis Castel a pu l’expérimenter avec un mouvement que Jean-Pierre Le Mat connaît bien. Répondant à l’appel « vivre, travailler et décider en Bretagne », il participe, avec ses collègues, au grand rassemblement des Bonnets Rouges à Quimper en 2013.
Mais il en conserve une certaine amertume. Lors de cette manifestation, «il y a un gars qui a parlé au nom de Marine Harvest, se prétendant comme représentant du personnel, qui était un intérimaire que même moi je ne connaissais pas ». Et, lors d’une rencontre initiée par Christian Troadec à Carhaix, des représentants de Gad et Doux sont présents… mais aucun de Marine Harvest, pourtant à deux pas de la ville. « Au départ c’était un comité pour la défense de l’emploi, et puis petit à petit, pour moi, c’est là qu’est né les Bonnets Rouges avec Christian Troadec et Thierry Merret ». Pourquoi les ouvriers du saumon n’y étaient pas ? Pas d’explication claire. Peut-être est-ce lié au fait que les salariés n’ont pas agit comme certains acteurs politiques l’auraient aimé : alors que les ouvriers tiennent une AG sur le site, ils sont avertis par téléphone qu’un groupe d’élus locaux et de militants du Front de Gauche se tient prêt à séquestrer la direction. Sans avertir les premiers concernés, qui s’y opposent à une large majorité. « On est descendus et on leur a dit de partir. Comme en plus ils avaient fait venir les médias, ils n’ont pas apprécié car on leur a dit ouvertement de dégager. Ils n’avaient pas à faire ça sans qu’on soit concertés. Les gens voulaient s’emparer de notre combat. Parce que, je pense qu’ils vous diront le contraire, mais il y avait des échéances électorales ». Il conclut : « J’ai appris à mes dépends qu’il faut se méfier des manipulations ».
La récupération de la part de partis ou politiciens, les Politzer y ont aussi été confrontés. Avec le CRIN, le couple Politzer s’est toujours revendiqué “apolitique”.“On a tenu à distance les partis. On voulait qu’ils viennent comme n’importe qui mais ils venaient toujours avec leur programme et leur liste”. Le parti communiste de l’époque tentera même de faire cesser l’activité du comité. “Dans leurs idées, l’avenir de l’humanité, c’était la technologie. J’étais le fils d’un résistant communiste durant la seconde guerre mondiale, ce n’était pas possible à leurs yeux que je me dresse contre les centrales nucléaires et donc contre eux”, détaille Michel. Anie se souvient bien de cette période : “ Un jour, ils sont venus frapper à ma porte avec un ton revendicateur, ils ont dit que Michel n’était qu’un ingrat. Je les ai foutus dehors, pourtant d’habitude je suis calme!”

Désillusion et désaveu

Peu à peu, Michel va suivre Anie dans sa retraite, fatigué de la politique politicienne : “Quand j’ai assisté aux deux trois grandes réunions ou tous les écolos étaient réunis à Paris, quand j’ai vu les querelles, les luttes de pouvoir, les conneries et tout… J’ai dit ‘bon allez, j’arrête !’” L’artiste met alors la politique au placard : “Je suis pas un joueur d’échec”. L’investissement en politique, Jean-Pierre Le Mat non plus ne veut plus s’y adonner : “Je l’ai fait il y a longtemps, cela m’a coûté plusieurs fois de la prison. J’ai autre chose à faire que de la communication et de l’apparence. La politique ce n’est que ça et de la séduction”. Une lassitude partagée aussi par Denis Castel, qui fut conseiller municipal de Plounévézel : lassé de la « politique politicienne », l’homme « plutôt de gauche » constate que « même dans les petites communes, ils sont touchés par le jeu des partis ». Le combat contre le PSE n’aura fait qu’augmenter son exaspération envers le monde politique et l’attitude de l’Etat: « les aides données aux boîtes par l’État, elles doivent normalement aider les entreprises. Mais elles n’y sont pas réinvesties : ça va directement à l’étranger, chez les actionnaires. C’était l’État qui finançait le PSE ! ».
Le désaveu est encore plus fort pour Audrey Le Bivic. L’agricultrice de 33 ans voue un dégoût sans nom pour la classe politique dans son ensemble. « Ce sont les politiciens qui entraînent toute cette crise. Qu’ils soient de droite ou de gauche ils me dégoûtent tous… Je ne me retrouve dans les idées d’aucun parti … Avant 2008 je ne m’intéressait pas trop à tout ça, mais désormais je suis vraiment réticente… ». Si elle se revendique comme étant plutôt de gauche, Audrey Le Bivic en veut au gouvernement de François Hollande de ne pas avoir fait évoluer la condition des agriculteurs depuis le début de son mandat en 2012, et déplore la tendance de développer les grandes exploitations. « Les agriculteurs ? Nous ne sommes pas rémunérés à notre juste valeur. On n’a aucune reconnaissance… On est à la base, on doit produire l’alimentation pour les gens et puis c’est tout. On n’a que le droit de respecter leurs conditions et de nous taire … ». Pour autant la productrice de Plouaret n’en oublie pas ses devoirs et reste convaincue que voter est l’un des piliers de la démocratie. « Aujourd’hui les agriculteurs sont peut-être écœurés par la politique. C’est grave car ils se rendent de moins au moins aux urnes. Que ce soit pour les élections nationales ou de la chambre d’agriculture, la problématique est la même. Il faut absolument qu’on se remobilise sinon en 2017 le FN peut espérer s’imposer, ce qui est effrayant. Et c’est la même chose avec la FNSEA qui, si on ne se rend pas plus nombreux aux urnes, va une nouvelle fois passer en 2019 ».
Face à un prix du lait dérisoire, elle regrette la course à l’automatisation (et l’endettement qu’elles entraînent) et l’attitude favorable du gouvernement envers les grosses exploitations, alors que les plus petites seraient celles qui font vivre le secteur. Pour autant son combat semble vain tant la FNSEA est puissante au sein du mouvement agricole. Mais pas de quoi effrayer Audrey. « Ils ne nous donneront pas raison, on le sait mais on s’en fout. Quoi qu’il arrive on leur vole dans les plumes, on leur dit ce qu’on a à dire et voilà. (…) Après c’est sûr que ça nous coûte … En n’ayant jamais marché pour la Fédé et l’État, on n’a jamais eu de terres… Même pour mon exploitation ils ont tenté de m’empêcher de m’installer mais ils ont échoué. Comme j’étais la seule et que j’étais JA ils n’ont pas eu d’autre choix. Mais à part ça on a toujours été boulé. » Si l’on peut sans problème la ranger dans « les déçus de la classe politique », Audrey Le Bivic n’est pour autant pas définitivement résignée. Certaine qu’il existe des solutions, elle se dit prête à s’investir pour faire bouger les choses, même si elle attend constamment un retour de la part de l’État et du soutien de la part de la FNSEA.

Fils de lutte
N

emo quaeso miretur, si post exsudatos labores itinerum longos congestosque adfatim commeatus fiducia vestri ductante barbaricos pagos adventans velut mutato repente consilio ad placidiora deverti.

Quare hoc quidem praeceptum, cuiuscumque est, ad tollendam amicitiam valet; illud potius praecipiendum fuit, ut eam diligentiam adhiberemus in amicitiis comparandis, ut ne quando amare inciperemus eum, quem aliquando odisse possemus. Quin etiam si minus felices in diligendo fuissemus, ferendum id Scipio potius quam inimicitiarum tempus cogitandum putabat.

julie pagisJulie Pagis : héritage, le militantisme des enfants

Pagis Julie, Mai 68, un pavé dans leur histoire. Socialisation et événements politiques, Presses de Sciences Po, 2014

Circa hos dies Lollianus primae lanuginis adulescens, Lampadi filius ex praefecto, exploratius causam Maximino spectante, convictus codicem noxiarum artium nondum per aetatem firmato consilio descripsisse, exulque mittendus, ut sperabatur, patris inpulsu provocavit ad principem, et iussus ad eius comitatum duci, de fumo, ut aiunt, in flammam traditus Phalangio Baeticae consulari cecidit funesti carnificis manu.

Nihil morati post haec militares avidi saepe turbarum adorti sunt Montium primum, qui divertebat in proximo, levi corpore senem atque morbosum, et hirsutis resticulis cruribus eius innexis divaricaturn sine spiramento ullo ad usque praetorium traxere praefecti.

Les jardins partagés des lucioles, un héritage d’Erdeven ?

Quam quidem partem accusationis admiratus sum et moleste tuli potissimum esse Atratino datam. Neque enim decebat neque aetas illa postulabat neque, id quod animadvertere poteratis, pudor patiebatur optimi adulescentis in tali illum oratione versari. Vellem aliquis ex vobis robustioribus hunc male dicendi locum suscepisset; aliquanto liberius et fortius et magis more nostro refutaremus istam male dicendi licentiam. Tecum, Atratine, agam lenius, quod et pudor tuus moderatur orationi meae et meum erga te parentemque tuum beneficium tueri debeo.